L’ABC de la CÉEC

Lors de l’assemblée générale du 25 janvier 2023, nous avons réitéré notre opposition aux travaux de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CÉEC). Voici un bref rappel des raisons qui ont poussé la FNEEQ et le SPCR à boycotter toutes les activités associées à cet organisme et à recommander à leurs membres de faire de même. Les grandes lignes du bulletin sont résumées dans l’encadré « La CÉEC en bref ». Vous pouvez référer au texte pour obtenir davantage de détails.


La CÉEC en bref…

  • La CÉEC s’intéresse aux politiques et mécanismes d’évaluation mis en place par les collèges et par l’évaluation que ceux-ci font de leurs propres mécanismes d’évaluation.
  • Elle peut formuler des recommandations à la ministre de l’Enseignement supérieur et aux collèges.
  • Le processus d’assurance qualité trouve son origine notamment dans le secteur privé. Un bon exemple de cette démarche est l’Organisation internationale de normalisation qui élabore les normes ISO.
  • L’approche de la CÉEC et de l’assurance qualité tend à considérer l’éducation comme un produit comme les autres, qui peut être soumis à la même logique de normalisation et de validation  externe.
  • L’enjeu n’est pas ici de s’opposer à l’examen critique des activités des collèges, mais de remettre en question l’esprit dans lequel la CÉEC mène ses travaux.
  • Avec son approche inspirée des organismes de normalisation, la CÉEC s’attaque à l’autonomie professionnelle individuelle et collective des professeures et des professeurs. Elle substitue un contrôle essentiellement externe à un contrôle essentiellement
    interne.
  • Par son approche et ses recommandations, la CÉEC va dans le sens d’une uniformisation des pratiques et des politiques des collèges.
  • Un bon exemple de cette volonté d’uniformisation, inspirée de prétendues « bonnes pratiques », est le désir des collèges de retirer de leur PIEA les dispositions qui portent sur l’exclusion des étudiantes et étudiants en cas d’absences répétées.
  • Pour toutes ces raisons, la FNEEQ et le SPCR demandent à leurs membres de boycotter les activités liées à la CÉEC.

Qu’est-ce que la CÉEC ?

La CÉEC a été créée en 1993 par la Loi sur la Commission de l’enseignement collégial. Elle trouve son origine dans la volonté du gouvernement de mettre en place dans les collèges des mesures supposées assurer la qualité de l’enseignement, ou du moins, en voilà la prétention. Nous y reviendrons.

Les mandats de la CÉEC, tels que définis à l’article 13 de la loi, sont plutôt vastes. Ainsi, elle doit évaluer différentes politiques institutionnelles et leur application, comme la PIÉA et la PIGP, la mise en œuvre des programmes nationaux, les objectifs, les standards et la mise en œuvre des programmes locaux, ainsi que toutes les activités qui concourent à la réalisation de la mission éducative des collèges, incluant le plan stratégique et le plan de réussite. Elle possède de vastes pouvoirs d’enquête et d’accès à l’information. Elle peut formuler des recommandations au ministre de l’Enseignement supérieur ainsi qu’aux collèges. Rien dans la loi n’indique cependant que ces recommandations aux collèges sont contraignantes. Il s’agit ici d’un enjeu important. Notre position locale va davantage dans le sens de la défense de l’autonomie des collèges et des départements.

Avec le temps, la mission de la CÉEC s’est transformée. Elle est passée de l’évaluation des mécanismes mis en place par les collèges, à l’évaluation de l’évaluation que les collèges font de leurs propres mécanismes d’évaluation. Ouf.

Qu’est-ce que le processus d’assurance qualité ?

La logique et les processus d’assurance qualité trouvent leur origine à la fois dans le secteur privé et dans un souci de garantir la valeur des formations offertes en enseignement supérieur. De ce dernier point de vue, ce processus peut sembler bien-fondé : alors que se multipliaient les formations et les établissements d’enseignement, il y avait un souci de séparer le bon grain de l’ivraie, de distinguer les réelles institutions d’enseignement supérieur des « usines à diplômes » à vocation lucrative. Une certaine recherche d’uniformité était également justifiée par le développement des échanges étudiants européens et internationaux et la hausse de la mobilité des travailleuses et des travailleurs. L’accroissement de ces échanges justifiait en effet de s’interroger sur l’équivalence des formations offertes dans les établissements de différents pays.

Dans le secteur privé, le meilleur exemple de l’application du processus d’assurance qualité est l’Organisation internationale de normalisation (ISO). L’ISO travaille avec des organisations nationales afin d’élaborer des normes internationales dans une grande diversité de secteurs de production. Il existe d’ailleurs un projet en développement dont l’objectif est d’établir des « [e]xigences pour les organismes procédant à l’audit et à la certification des systèmes de management des organismes d’éducation/formation » (norme ISO/CD TS 21030). Nul doute que cela doit bien enthousiasmer la CÉEC, qui possède par ailleurs déjà une accréditation de l’International Network for Quality Assurance Agencies in Higher Education (INQAAHE).

On retient dans les deux cas que les objectifs poursuivis vont dans le sens de l’établissement de normes et d’une plus grande uniformisation des pratiques. Les pratiques de la CÉEC s’inscrivent aussi dans un cadre qui tend à considérer que l’éducation est un produit comme les autres. Ce produit possède une valeur, les gens y consacrent leurs précieuses ressources et investissent ainsi dans leur propre développement, en espérant empocher des dividendes
personnels, par exemple sous forme d’un salaire supérieur. Les « clients » sont donc en droit d’obtenir des garanties quant à la valeur des formations suivies, sous forme notamment d’accréditation de la part d’organismes externes qui travaillent en assurance qualité. Il s’agit donc aussi d’une approche consumériste et individualiste de l’éducation.

Pourquoi en parler maintenant ?

Le deuxième cycle d’audit de la CÉEC est en cours. L’organisme visitera le Collège à l’automne 2023. Dans le cadre de ses travaux de préparation, la direction du Collège prétend consulter les professeures et les professeurs. Bien que nous soyons favorables à un renforcement de notre rôle et de notre place dans les instances décisionnelles des cégeps, nous rejetons les manières de faire et la vision de l’enseignement collégial de la CÉEC.

Un bref survol des positions syndicales

Depuis 1999, la FNEEQ et ses syndicats membres ont adopté de nombreuses recommandations sur la CÉEC. Sans faire un survol exhaustif de celles-ci, rappelons que la position actuelle en est une de boycott. Bien sûr, cela ne signifie pas un refus des réflexions critiques sur notre propre travail et le fonctionnement des collèges.

Quels sont les enjeux ?

Il ne s’agit donc pas d’être en faveur ou en défaveur de la « qualité », pas plus qu’il n’est question de s’opposer à un examen critique des politiques institutionnelles et des programmes d’études. L’enjeu est plutôt l’esprit dans lequel la CÉEC mène ses travaux, les objectifs qu’elle poursuit, les personnes qui occupent un rôle central dans le processus et la conception de l’éducation que cela sous-tend.

L’approche de la CÉEC fait craindre une pression à l’uniformisation, un empiètement de la part d’organismes externes sur les prérogatives des collèges et une perte significative d’autonomie professionnelle pour les professeures et les professeurs, à la fois dans ses dimensions individuelles et collectives.

Autonomie professionnelle, collégialité versus approche de la CÉEC

Les professeures et les professeurs occupent une place centrale dans le fonctionnement des collèges. Notre influence s’exerce notamment à travers les départements et les nombreuses fonctions qui leur sont confiées. Les comités de programme et la commission des études (CÉ) sont également des instances incontournables, puisque notre poids y est considérable. Nous possédons ainsi collectivement une large majorité dans les comités de programme et nous occupons la moitié des sièges de la CÉ.

Autonomie et collégialité sont au cœur de notre travail. Reposant sur notre statut d’experts disciplinaires,  notre autonomie est à la fois individuelle et collective. Elle s’exerce dans la collégialité, c’est-à-dire dans le cadre de délibérations collectives qui excluent les relations hiérarchiques. Nous sommes ainsi collectivement responsables de l’organisation de l’enseignement et de la gestion pédagogique, à l’intérieur des balises établies au niveau ministériel [Note : Et encore : rappelez-vous nos nombreuses critiques envers les  processus ministériels de révision de programmes. Nous avons dénoncé l’opacité du processus et le peu de place laissée aux  professeures et aux professeurs. C’est la raison pour laquelle nous revendiquons, dans le cadre des négociations de la convention  collective, une plus grande participation à ces travaux, de même que des consultations plus transparentes. Notre avis est que si un cadre doit être établi au niveau ministériel, par exemple afin de garantir le caractère national des diplômes, et que cela implique de limiter notre autonomie au niveau local, ce sont les professeures et  les professeurs eux-mêmes qui devraient établir ces limites.].

Ce que remet en question la logique de la CÉEC, c’est la portée de notre rôle dans les cégeps, c’est la pertinence d’une approche qui sait s’adapter aux réalités locales plutôt que d’imposer des manières de faire uniformes et universelles. La logique de la CÉEC, c’est prétendre à la possibilité d’imposer des règles et des normes indépendantes de ces contingences locales. C’est limiter le rôle des collèges à celui de simples fournisseurs de services et celui des professeures et des professeurs à celui de simples prestataires d’enseignement. C’est aussi confier des responsabilités importantes à des personnes qui sont éloignées de la réalité du terrain, de la  pratique de l’enseignement et du fonctionnement des collèges, au  détriment des membres de la communauté collégiale.

Un exemple des conséquences de l’approche de la CÉEC

Pour trouver un bon exemple des conséquences de l’application aux collèges de la logique de la CÉEC, nul besoin de chercher bien loin. En matière d’uniformisation des pratiques, pensons aux dispositions de la PIÉA qui portent sur les exclusions des étudiantes et des étudiants en cas d’absences répétées. C’est une recommandation de la Commission qui est à l’origine du retrait de ces dispositions dans les politiques de plusieurs collèges. Cette approche fait abstraction de la réalité propre à chaque établissement, une réalité que connaissent les acteurs de terrain, mais pas l’appareil de la CÉEC.

Peut-il y avoir en cette matière une règle claire et universelle quant aux « bonnes pratiques » ? Cela ne semble pas être le cas. C’est du moins la conclusion à laquelle nous parvenons à la suite de notre consultation des camarades des différents exécutifs syndicaux. Pour les uns, imposer des restrictions aux absences des étudiantes et des étudiants et y assortir des sanctions est tout à fait contraire à l’esprit de l’enseignement supérieur, qui repose notamment sur la responsabilité et l’autonomie individuelles. Pour les autres, cependant, et nous appartenons à cette catégorie, il faut éviter les jugements qui s’appliquent à l’ensemble des collèges, sans égard aux réalités locales. Nous l’avons dit et nous le répétons : sur cette question, il faut tenir compte des caractéristiques des populations étudiantes des différents collèges. Il n’y a pas de formule magique qui saura répondre à l’ensemble des défis des uns et des autres. De simplement proposer aux professeures et aux professeurs de travailler sur leurs « stratégies de gestion de classe » illustre bien le fossé qui nous sépare de ces « experts » de l’évaluation et de l’assurance qualité.

La nature et les impacts de la CÉEC : une métaphore agroalimentaire

Pour le bénéfice de l’exercice, imaginons une comparaison entre l’enseignement collégial et la production de fromages. Dans une telle expérience, la CÉEC représente l’approche industrielle et commerciale, ainsi que le contrôle serré exercé par les autorités gouvernementales comme Santé Canada et le ministère de l’Agriculture. Elle souhaite s’assurer d’une homogénéité et d’une constance, à la fois dans les ingrédients et les processus de fabrication. Elle instaure des règles strictes qui prescrivent des manières de faire aux producteurs. Dans un tel contexte, les fromagers ont très peu de place pour exprimer leur créativité : fabriquer un produit ressemble dans ses grandes lignes à l’application d’une recette. Lait cru ? Ou-a-che ! À l’inverse, la manière dont la FNEEQ et le SPCR conçoivent l’enseignement collégial ressemble plus à la production artisanale de fromage. Bien sûr, il existe quand même des règles. On ne laisse jamais entièrement la fabrication d’aliments à la liberté des producteurs. On conserve donc un cadre règlementaire qui garantit par exemple des normes en matière de salubrité. Mais au-delà des conditions de base, les producteurs, considérés comme des experts, possèdent la latitude d’expérimenter, de s’adapter aux conditions et aux produits locaux. Dans cette situation, les fromagers sont de véritables créateurs autonomes et pas simplement des techniciens de production industrielle.

En conclusion

Nous invitons donc tous les membres à s’abstenir de participer, sous une forme ou sous une autre, aux travaux du Collège liés à la visite de la CÉEC.